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INTERVIEW DES DESIGNERS D’IGUANA YACHTS

Après avoir réalisé une formation bureau d’études et une école de design (ENSCI), Antoine Fritsch fonde son agence en 1993, période à laquelle il rencontre Antoine Brugidou, fondateur d’Iguana Yachts. Vivien Durisotti découvre l’agence en 2006 et s’associe à Antoine Fritsch cinq ans plus tard. L’agence réalise de nombreuses collaborations avec des industriels et forme petit à petit une belle équipe motivée par des projets ambitieux. Parmi les plus récents dans le secteur du nautisme, l’agence a réalisé les dessins de la gamme de kayaks gonflables pour Tribord et Itiwit. Découvrez l’interview de ces designers talentueux et audacieux ayant permis la naissance d’Iguana Yachts. 

LA NAISSANCE DU CONCEPT IGUANA

COMMENT L’HISTOIRE ENTRE FRITSCH & DURISOTTI ET IGUANA YACHTS EST-ELLE NÉE ?

Antoine Fritsch – Un jour, Antoine [Brugidou] est venu à l’agence et nous a demandé d’imaginer un engin amphibie. Sa demande était assez étonnante, nous lui avons tout de suite demandé s’il pensait plus à un bateau ou à un véhicule terrestre. Il souhaitait un vrai bateau offrant la possibilité de remonter sur terre. Iguana est alors né de cette demande sans savoir si cela resterait un projet personnel ou deviendrait un projet professionnel. Je me souviens l’avoir mis en garde sur la complexité d’un engin amphibie aussi gros. A cette époque il y avait beaucoup d’études, d’investissements ou de prototypes sur ce type d’engins mais lui voulait aller un cran plus loin. Pour nous, c’était un défi incroyable et un peu fou. En plus, nous aimons tout ce qui touche au nautisme et à la mobilité en général. Iguana est le projet le plus incroyable qui ait abouti. Nous avons d’autres projets assez incroyables mais qui sont restés au stade de maquette. Nous sommes partis de presque rien et nous avons tout construit ensemble.

Vivien Durisotti – Il y a une certaine dualité dans ce projet car nous sommes partis de rien, tout comme Antoine. Il n’y avait ni industrie, ni équipe.

Antoine Fritsch – Il n’y avait pas de société, et ce fut compliqué de former un bureau d’études. Nous sommes passés par des phases de prototypage afin de trouver des chenilles allant dans l’eau et ne rouillant pas. Aujourd’hui, cela paraît tout bête mais je me souviens que c’était un composant compliqué à trouver.

"Iguana est le projet le plus incroyable qui ait abouti. Nous sommes partis de presque rien et nous avons tout construit ensemble."

À QUEL MOMENT L’IDÉE DES CHENILLES EST-ELLE ARRIVÉE SUR LA TABLE ?

Vivien Durisotti – Très vite.

Antoine Fritsch – Les chenilles répondaient à un déplacement sur des sols meubles puisqu’il y a une bonne répartition des charges et une bonne traction. On avait également imaginé assez rapidement des roues jumelées, ce qui revient à une chenille en moins bien.

Vivien Durisotti – Les chenilles offrent plein d’avantages et sont très différenciantes par rapport à la concurrence car cela nous permet d’intégrer le système de mobilité. On voit bien que les concurrents sont souvent des bateaux sur lesquels un système de mobilité a été ajouté. Tout de suite, nous avons eu la volonté de l’intégrer.

QUELS ÉTAIENT LES CHOIX ESTHÉTIQUES ?

Antoine Fritsch – Nous étions tellement en rupture par rapport à ce qui se faisait que nous ne voulions pas faire un bateau classique. Il fallait oser un design avant-gardiste et c’est ce qui nous a guidé. Antoine nous suivait sur le design, c’est quelque chose qu’il aime et ce qui est exceptionnel c’est qu’il a osé tout le long du projet.

LES DÉFIS D’UN SYSTÈME À CHENILLES

QUELLES ONT-ÉTÉ LES ÉTAPES DU DÉVELOPPEMENT DU PROJET ?

Antoine Fritsch – En premier, nous avons recueilli les informations fournies par Antoine. Ensuite, nous avons immédiatement travaillé sur le système de mobilité car le point essentiel était de trouver un système qui, une fois replié, offrait une carène très performante. Nous avons imaginé plusieurs systèmes de mobilité différents : avec des roues, avec des chenilles, sans chenilles… D’ailleurs, les brevets déposés aujourd’hui pour Iguana Yachts relèvent de ce travail de départ sur le système de mobilité. A cette étape, nous ne cherchions pas l’aspect esthétique, nous voulions simplement répondre à un usage, avoir une bonne carène et assurer une mobilité sur tous types de sols. Enfin, dans une obsession de simplicité, nous avons essayé d’éviter de faire quelque chose de trop mécanique afin d’aller à l’essentiel.

LE SYSTÈME DE MOBILITÉ A-T-IL ÉTÉ LE PLUS GROS DÉFI SUR CE PROJET ?

Vivien Durisotti – Oui, de loin. Avec le système de mobilité, un tas de choses devenaient assez complexes.

Antoine Fritsch – Le système de mobilité était l’aspect le plus difficile car il a fallu en créer un spécifique à Iguana. Certains architectes voulaient bien dessiner une carène mais ne voulaient pas se prendre la tête avec le système de mobilité et tous les problèmes que cela engendre (poids supplémentaire, perte de flottabilité à certains endroits…). Quand nous avons commencé à creuser ce concept de chenilles, nous avons beaucoup travaillé sur les axes de déploiement des chenilles. Ces axes doivent avoir une position très précise car les chenilles dépliées doivent être parallèles l’une à l’autre mais repliées elles ne doivent pas être en diagonale sur les flancs du bateau. Il a fallu maîtriser la direction de la chenille quand elle se replie. La notion de largeur était également importante car elles ne devaient pas dépasser du bateau. C’était très compliqué d’intégrer des logiques automobiles dans un milieu marin.

EN COMPARAISON AVEC D’AUTRES SOLUTIONS AMPHIBIES, IGUANA YACHTS PROPOSE UNE SOLUTION INTÉGRÉE, COMMENT EN ÊTES-VOUS ARRIVÉS LÀ ?

Antoine Fritsch – En tant que designers, nous essayons de raisonner de façon globale pour que toutes les contraintes du projet soient respectées et que le produit final soit cohérent. Nous avons eu le souci d’intégrer le système de mobilité dès le départ même si cela impliquait des contraintes (roulage sur tous les sols, carène, accessibilité au bateau…). Nous sommes une agence de défis, c’est aussi pour ça que nous sommes sollicités.

Vivien Durisotti – Au final, la chenille était presque plus simple car c’est plus linéaire. La difficulté réside dans sa connotation très militaire qui n’est pas simple à porter pour un bateau haut de gamme. Le parti pris de rendre la chenille visible fonctionne finalement très bien.

Antoine Fritsch – Assez rapidement nous nous sommes dit que le fait de voir la chenille sur les flancs ne gênait pas le côté nautique, en servant presque de pare-battage, et permettait de signer une identité. Les chenilles permettent également de générer le mouvement et de tourner par différentiel de vitesse, ce qui est assez simple. De plus, nous voulions éviter d’utiliser des capots car nous savions que tout ce qui allait s’ajouter pour cacher la mécanique était sujet à des pannes, de la maintenance, des défauts…

Vivien Durisotti – Au final, les chenilles sont la signature d’Iguana, la cinématique est assez simple.

"En tant que designers, nous essayons de raisonner de façon globale pour que toutes les contraintes du projet soient respectées et que le produit final soit cohérent. Nous avons eu le souci d’intégrer le système de mobilité dès le départ."

EN DEHORS DE LA TRANSITION TERRE-MER, QUELS ÉLÉMENTS D’ERGONOMIE D’USAGE ÉTAIENT IMPORTANTS ?

Antoine Fritsch – Nous avons beaucoup travaillé sur la montée à bord et la descente à terre à l’aide d’une échelle. Aujourd’hui, cela paraît très simple mais il y a beaucoup de travail derrière.

Vivien Durisotti – L’accès à bord était clé car nous sommes déjà sur un produit très complexe. Nous avons réalisé des scénarios d’usages et opté pour une accessibilité par l’arrière qui semblait être la solution la plus simple, la plus classique et la plus pratique.

Antoine Fritsch – Nous avons également travaillé sur la largeur des marches de l’échelle, nous ne voulions pas une échelle de bain avec des barreaux mais quelque chose de vraiment confortable et sécurisant.

LE DÉVELOPPEMENT DES MODÈLES

COMMENT AVEZ-VOUS DÉVELOPPÉ LE PREMIER MODÈLE, L’IGUANA ORIGINAL ?

Vivien Durisotti – Au départ, nous suivions le cahier des charges fourni par Antoine qui consistait en un petit bateau à la journée sans cabine. Ensuite, nous avons été contraints par les niches des chenilles qui prenaient énormément de place sur les flancs du bateau. C’est pour cette raison que nous avons imaginé ces grandes banquettes latérales permettant de cacher les niches et de pouvoir embarquer beaucoup de personnes.

Antoine Fritsch – Par contre, ces banquettes latérales n’ont pas aidé aux premières ventes car les gens ne reconnaissaient pas un bateau habituel.

Vivien Durisotti – En fait, il y avait une double originalité : un système de mobilité qui pouvait faire peur et un plan de pont qui n’était pas traditionnel. Dès que nous avons réussi à nous libérer de cet encombrement, le développement des modèles est devenu plus simple car nous pouvions faire des plans de pont plus « traditionnels ».

COMMENT AVEZ-VOUS DÉVELOPPÉ LE DEUXIÈME MODÈLE, L’IGUANA COMMUTER ?

Vivien Durisotti – L’Iguana Commuter était beaucoup plus simple car le train de chenilles était complètement différent. Au lieu d’avoir un énorme corps, nous avions juste deux petits arbres. Cela nous a donné plus de liberté pour faire des banquettes face à la mer, par exemple.

Antoine Fritsch – Nous imaginions que les chenilles prendraient beaucoup de place mais cela s’est intégré assez naturellement car elles sont sous le plancher.

Vivien Durisotti – Cependant, l’Iguana Commuter ajoutait une strate de complexité supplémentaire car il fallait intégrer une cabine. C’était un projet compliqué nécessitant des compromis.

Antoine Fritsch – Le hard top était aussi une vraie innovation dans le nautisme, c’était un gros travail d’ergonomie.

Vivien Durisotti – Nous devions calculer selon la taille des personnes pour permettre un pilotage debout avec le hard top relevé et un pilotage assis avec le hard top fermé.

COMMENT S’EST PASSÉE LA CONCEPTION DU MODÈLE SUIVANT, LE X100 ?

Vivien Durisotti – C’était encore un gros défi, la transformation d’un bateau traditionnel en semi-rigide a nécessité un travail sur les boudins et les assemblages, mais nous commencions à avoir un peu d’expérience sur les Iguanas. C’était un défi moins compliqué que l’Iguana Commuter qui embarquait beaucoup d’innovations et de mises au point. L’assemblage du X100 était plus traditionnel, rendant la tâche plus simple. C’est un modèle accessible et rassurant et c’est cette notion d’accessibilité qui a guidé le travail de création. Il devait être élégant mais pas trop onéreux à produire.

Aujourd’hui, même si la technologie est déposée et que beaucoup de modèles ont été développés, les échanges entre le bureau d’études et l’agence Fritsch & Durisotti sont réguliers. L’avis des designers est consulté pour chaque intégration. Iguana Yachts réalise beaucoup de projets sur-mesure via le bureau d’études, mais le dialogue avec les designers est permanent afin d’assurer des propositions pensées dans les moindres détails.

Pour le futur, Antoine Fritsch et Vivien Durisotti imaginent un bateau plus petit et plus accessible afin de démocratiser le concept Iguana Yachts. La démocratisation de la technologie a toujours été un souci partagé par Antoine Brugidou, fondateur d’Iguana Yachts.